vendredi 14 janvier 2022

Quelle est la valeur d’une seule bouchée ?

Basma Abousaleh

Dans cette vie d’ici-bas, nous avons parfois tendance à perdre de vue l’essentiel. Emportés par nos désirs, par la beauté de ce qui nous entoure, par notre volonté de refléter la meilleure image de nous-mêmes ainsi que de nos croyances, mais aussi par les nombreuses idées que nous nous faisons sur notre religion (idées parfois héritées de nombreuses générations où les coutumes l’ont emporté sur la vérité), il est important de revenir aux sources du message et de réfléchir de nouveau à ce qui compte vraiment.

C’est ce que nous a aidé à faire le cheikh Abdulqader Alkeilani (qu’Allah lui fasse miséricorde), figure religieuse syrienne du début du XX^e siècle, dans sa plus courte khotba connue à ce jour, parfois qualifiée du sermon le plus court de l’histoire islamique. En effet, il monta sur le minbar et dit :

لقمة في بطن جائع خير من بناء ألف جامع..

و خير ممن كسا الكعبة وألبسها البراقع..

و خير ممن قام لله راكع..

و خير ممن جاهد للكفر بسيف مهند قاطع..

و خير ممن صام الدهر والحر واقع..

و إذا نزل الدقيق في بطن جائع له نور كنور الشمس ساطع..

فيــــــا بُشرى لمن أطعم جائع..

Une bouchée dans le ventre d’une personne affamée est meilleure que la construction de mille mosquées..

Et meilleure que de couvrir la Kaaba et du meilleur tissu l’habiller..

Et meilleure que de veiller la nuit en prière incliné..

Et meilleure que de combattre le mal avec une épée tranchante..

Et meilleure que de jeûner sa vie entière dans une chaleur étouffante..

Et si un bout de pain venait à tomber dans l’estomac d’un affamé, il serait pour qui l’a donné une lumière rayonnante.

Bien que le cheikh n'ait cité aucune référence religieuse pour les affirmations qu’il a avancées, les leçons à en tirer sont immenses.

Tout d’abord, le Prophète (saw) a dit : « Les meilleurs d'entre vous sont ceux qui offrent à manger » [Ahmad], et a dit : « Le croyant n'est pas celui qui est rassasié alors que son voisin a faim » [Tabarani].

Offrir de la nourriture est donc non seulement une Sunna mais aussi une des caractéristiques des croyant(e)s, une condition fondamentale donc pour l’être.

Ensuite, Ibn Omar rapporte qu’un homme est venu trouver le Messager d’Allah (saw) et lui dit : « Ô Messager d’Allah ! Quels sont les personnes ainsi que les actions qu’Allah aime le plus ? ». Le Messager d’Allah (saw) dit : « les gens les plus aimés d’Allah sont ceux qui sont les plus utiles aux autres et les actions les plus aimées d’Allah sont celles qui participent à donner de la joie à un musulman, soit en le soulageant d’une détresse, en remboursant une dette à sa place ou en soulageant sa faim. En fait, si je marche avec un frère pour quelque affaire qu’il a, cela m’est plus souhaitable que de faire une retraite spirituelle dans cette mosquée » [Tabarani]. La mosquée dont il est question n’est autre que celle de Médine, où une seule prière en vaut mille !

Subhan Allah, ces hadiths reflètent l’essence même de l’islam, celle d’une religion où l’entraide est une priorité, et où des actions qui semblent anodines sont immenses aux yeux d’Allah (swt).

Pourquoi est-ce si important ?

En lisant ces mots, nous ne pouvons nous empêcher de penser à ce qu’ont vu et rapporté nos équipes qui se sont rendues en Afghanistan en début d’année, et nous demander si nous savons vraiment ce qu’est la faim, ce que c’est que d’être affamé, d’entendre la souffrance de son estomac qui hurle son besoin mais ne rien avoir à lui donner pour le calmer, et si nous nous rendons compte que derrière les chiffres impressionnants que nous lisons, 45 millions de personnes menacées par la faim, 45 000 000 !, il y a 45 millions de visages, 45 millions d’histoires, 45 millions de rêves, 45 millions de destins qui ne verront peut-être jamais le jour, éteints à petit feu par des jours et des jours d’agonie.

Des familles entières meurent littéralement de faim, et bien que nous ne puissions sauver tout le monde, chaque vie est chère aux yeux d’Allah (swt), tout comme l’est chaque bouchée dans le ventre d’une personne affamée. « Et quiconque sauve une [vie], c’est comme s’il avait sauvé l’humanité entière » [Coran, 5:32]