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jeudi 18 décembre 2025

Enfance en exil : Abdoulaye, 16 ans, entre errance et solidarité

Muslim Hands France

Selon les données publiées dans l’enquête conduite par l’Association d’accès aux droits des jeunes et d’accompagnement vers la majorité (AADJAM) et Utopia 56, plus de 4 300 mineurs non accompagnés ont été orientés vers des dispositifs de soutien cette année dans la capitale. 

La majorité d’entre eux ont 16 ans, et les trois quarts disposent d’un document d’identité attestant de leur âge. 

Derrière ces chiffres apparaissent des réalités bien plus complexes : des nuits passées dehors, des démarches administratives difficiles à comprendre, et des adolescents qui tentent de se repérer dans une ville dont ils ignorent encore les codes.

À l’occasion de la Journée internationale des migrants, Muslim Hands France met à l’honneur le récit d'Abdoulaye*, 16 ans, arrivé en France au terme d’un parcours d’exil marqué par l’attente et les obstacles.

*Le prénom a été modifié pour préserver l’anonymat de la personne. 

UNE ENFANCE BOUSCULÉE ET UN DÉPART IMPOSÉ

Abdoulaye évoque son village en Guinée avec une retenue qui traduit la fragilité de ses premières années. Cadet de trois frères, il grandit dans une famille éprouvée par la maladie de son père, devenu incapable de travailler, tandis que son oncle assume progressivement le rôle de soutien principal. Privé de scolarité, Abdoulaye nourrit pourtant un désir profond d’apprendre : un ami lui offre un syllabaire dont il se rappelle encore les pages usées et les lettres qu’il parcourait du bout des doigts. « J’avais tellement envie d’aller à l’école. » 

Comme beaucoup d’adolescents de son âge, il se prend également à rêver de football, convaincu que ce talent pourrait, un jour, transformer son avenir. Lorsque ses parents repartent vivre au village, son oncle décide de l’emmener avec lui à Conakry, la capitale guinéenne.  

Cette ville l’étourdit : le bruit, la densité, les ruelles animées. Mais quelques mois plus tard, l’oncle perd son emploi. Un soir, sans explication, il demande à Abdoulaye de monter dans une voiture. Ils prennent la route, sans indication sur leur destination, jusqu’à une maison au Mali où l’oncle lui apporte chaque jour à manger, sans dire un mot. Le silence devient une réponse. 

Le lendemain, ils rejoignent un convoi de pick-up. Les passagers sont serrés les uns contre les autres, avançant à travers des zones désertiques qu’Abdoulaye peine à situer. Les journées s’étirent et les nuits sont brèves, et l’incertitude devient permanente. 

LES FRONTIÈRES, LA MER, LE SILENCE : L’ÉPREUVE DE LA TRAVERSÉE

Le parcours se poursuit à travers le Mali, l’Algérie puis la Tunisie, parfois interrompu par de longues heures d’attente près des zones frontalières. Finalement, ils atteignent Sfax, grande ville portuaire du centre-est tunisien, devenue un point de passage majeur pour celles et ceux qui cherchent à rejoindre la Méditerranée. C’est dans un petit studio du quartier populaire de Sidi Habib qu’ils s’installent provisoirement. 

Pour la première fois depuis longtemps, Abdoulaye ressent un moment de répit. Il parle encore avec émotion de la solidarité des voisins tunisiens qui, durant le mois de Ramadan, déposent régulièrement un repas devant la porte. Le jour de la Tabaski (Aïd al-Adha), l’un d’eux lui apporte un bol de chorba chaude, geste dont il garde un souvenir marquant : « Je ne peux pas oublier ça. » 

Puis, un jour, tout bascule. Abdoulaye voit la police entrer dans des maisons pour arrêter des migrants. Les descentes sont brutales, imprévisibles. Un matin, les forces de l’ordre entrent dans leur immeuble : son oncle est arrêté, puis renvoyé en Guinée. 

Abdoulaye reste seul dans le studio, mineur, sans repère, sans ressources, sans adulte pour le guider. Pendant plusieurs jours, il vit dans l’attente et l’incompréhension, surveillant les mouvements dans la rue, écoutant les rumeurs qui circulent parmi les autres jeunes du quartier.  

Les arrestations se multiplient et de nombreuses personnes migrantes sont progressivement poussées hors de la ville. Dans ce climat de tension et d’incertitude, certains jeunes évoquent des départs improvisés, des bateaux organisés en urgence, et lui répètent qu’il ne peut plus rester. 

C’est dans cette atmosphère de peur qu’un voisin finit par lui dire : « Le bateau va partir. Si tu veux partir, c’est maintenant. » Abdoulaye ignore comment cette information est arrivée jusqu’à lui, mais il comprend qu’il doit partir immédiatement. 

Le bateau est surchargé. Le moteur vrombit puis s’arrête. Les vagues frappent régulièrement la coque. « Dans la mer, je dormais. Ça m’a traumatisé. Je ne sais pas nager. Je voyais les vagues… elles montaient, elles descendaient. Tout le monde pleurait. Je me suis dit : la mort va venir. » Il ferme les yeux pour ne plus voir.

Puis un navire italien apparaît, lançant des cordes. « Ils ont dit : “Faites doucement, on va vous sauver un par un.” Ça m’a tellement soulagé. » À quinze ans, Abdoulaye survit à la traversée de la Méditerranée. 

Transféré à Lampedusa, puis placé dans un centre pour jeunes en Italie, il attend sans savoir combien de temps il restera, observant d’autres adolescents qui, comme lui, pensent déjà à poursuivre leur route. Beaucoup parlent de la France, de Paris, où « quelqu’un peut t’aider ». Finalement, Abdoulaye reprend la route. Il quitte l’Italie, franchit la frontière et rejoint Marseille, avant de monter dans un train pour Paris. 

LE FROID, LA RUE, PUIS LES PREMIÈRES SOLIDARITÉS

Il arrive à Paris une nuit glaciale, à la Gare de Lyon. L’air mord ses doigts. « Je n’avais pas de vêtements chauds. Je pensais que j’allais mourir ce jour-là. » Il erre autour de la gare — lumières artificielles, annonces métalliques, silhouettes pressées — jusqu’à croiser un jeune inconnu qui lui tend 10 euros pour acheter un kebab. Un autre homme l’héberge pour la nuit, lui offre un repas, un endroit chaud, et lui indique où demander de l’aide. Abdoulaye confiera plus tard : « S’il n’était pas venu… je ne sais pas comment j’allais faire. » 

Lors de son évaluation de minorité, Abdoulaye raconte son âge, la traversée de la mer, et son arrivée glaciale à Paris. Mais un malentendu culturel le fragilise : « Chez nous, quand quelqu’un est plus âgé, tu ne le regardes pas dans les yeux. Ici, ils croyaient que je mentais. » L’entretien est bref. Il ressort avec un refus. « Je ne connaissais même pas les associations. Je n’avais rien. » Orienté vers ce qu’il croit être un hébergement, il découvre une file de jeunes sous la pluie, des tentes distribuées en urgence et des couvertures données à la hâte.  

À Paris, un jeune sur cinq se voit refuser une mise à l’abri, malgré l’obligation faite à l’État, via ses services délégués de l’Aide sociale à l’enfance, de protéger toute personne mineure en danger ou vulnérable. 

En octobre 2025, le Comité des droits de l’enfant de l’ONU a alerté sur de graves violations des droits des mineurs non accompagnés en France, les exposant à des conditions indignes et à un manquement profond à leur protection. Abdoulaye dort dehors. « Je pensais que la nuit ne finissait pas. » Il observe d’autres jeunes sombrer : « Tu peux rester du matin à la nuit sans manger. Si tu n’as personne, tu tombes. » Dans ces nuits glaciales, les maraudes, comme celles organisées par Muslim Hands France, deviennent des repères : un repas, une paire de gants, un mot, une présence. « Heureusement qu’il y a des associations. Sans ça, je ne serais pas là pour parler. » 

CHERCHER UN GROUPE POUR TROUVER UNE VOIX

Dans l’est de Paris, le Parc de Belleville est devenu un point de chute, faute d’hébergement, pour de nombreux jeunes en recours, c’est-à-dire en attente de reconnaissance de leur minorité par la justice. 

Entre tentes posées à même le sol, sacs entassés et files d’attente pour les maraudes, Abdoulaye rencontre d’autres adolescents vivant la même errance. Ils ne viennent pas seulement y dormir : ils s’y regroupent pour s’informer, s’entraider, comprendre les démarches juridiques et affronter moins seuls les refus. Peu à peu, Abdoulaye se joint à eux. 

C’est ainsi qu’il intègre le collectif des jeunes du Parc de Belleville, un groupe qui s’organise pour défendre ses droits, se rendre ensemble aux rendez-vous, alerter les institutions et parfois manifester pour être entendu. “Avant, je ne connaissais pas la lutte. Maintenant, je sais qu’on a le droit de lutter.” Les victoires sont modestes, quelques nuits d’hébergement, une carte de transport, une convocation obtenue, mais elles sont réelles, et surtout, elles sont obtenues ensemble.  

Il partage aussi ses projets pour l’avenir : créer un lieu d’accueil pour les jeunes qui arriveront après lui, un espace où ils pourraient se reposer avant que l’État n’intervienne. Il avance vers son propre avenir, avec l’objectif d’obtenir une place en CAP boulangerie. Pour lui, chaque miche de pain serait « une promesse », le signe que quelque chose commence. 

UN APPEL À NE PLUS DÉTOURNER LE REGARD

“On ne doit pas laisser un enfant dans le froid. Un jour, j’espère que chacun et chacune pourra trouver ici un endroit sûr. Il faut rester fort et ne pas se décourager.” L’histoire d’Abdoulaye rejoint celle de milliers d’autres jeunes qui, chaque année, traversent Paris sans trouver immédiatement la protection à laquelle ils ont droit. Aucune politique, aucune frontière ne devrait laisser un enfant dormir dehors.  

Et pourtant, malgré la mer, l’hiver et la rue, il tient, grâce à ces mains qui se tendent : un voisin en Tunisie, un inconnu à la gare, un bénévole qui revient, une association qui s’arrête, un regard qui dit “tu n’es pas seul.” Ce fil fragile, celui de la solidarité, lui a permis de tenir et de croire en un avenir différent. 

Quelle que soit sa nationalité ou les circonstances qui l’ont poussé à fuir son pays d’origine, un enfant reste avant tout un enfant. Aucun enfant ne devrait affronter seul la rue, le froid, la faim ou l’isolement. En Île-de-France, les équipes de Muslim Hands France rencontrent chaque semaine des jeunes comme Abdoulaye : des mineurs non accompagnés, arrivés après des parcours d’exil éprouvants, confrontés à l’absence d’hébergement, aux refus répétés et à une précarité juridique qui fragilise encore davantage leur protection. 

ROMPRE L’ISOLEMENT, RÉPONDRE À L’URGENCE, RECONSTRUIRE DES TRAJECTOIRES

Face à ces réalités, l’action de Muslim Hands France s’inscrit dans une démarche humanitaire de proximité, attentive aux besoins essentiels mais aussi aux formes d’exclusion les plus invisibles. À travers ses maraudes, l’organisation répond aux besoins alimentaires les plus urgents, en fournissant des repas chauds aux jeunes isolés, aux familles sans ressources et aux personnes vivant à la rue.

En hiver, les équipes distribuent également des vêtements chauds, des couvertures et du matériel de première nécessité, afin d’aider les personnes à affronter les nuits les plus rudes. En allant à leur rencontre là où ils se trouvent, les bénévoles contribuent aussi à rompre l’isolement, offrant une écoute, un geste simple, une présence humaine qui compte souvent autant que l’aide matérielle. 

Muslim Hands France développe également des projets conçus pour tenir compte de la complexité des parcours, croisant les dimensions sociales, éducatives, culturelles et psychologiques, afin de proposer des réponses adaptées et durables. Une attention particulière est portée aux publics les plus vulnérables, notamment les mineurs non accompagnés, les familles monoparentales – portées en majorité par des femmes, les personnes sans abri et celles sans papiers. 

Muslim Hands France s’attache à mobiliser les solidarités locales, bénévoles, partenaires, citoyens, pour bâtir des réponses collectives plus fortes et adaptées aux réalités mouvantes de l’espace urbain, où la mobilité des personnes et la difficulté d’accéder aux droits rendent l’accompagnement encore plus essentiel. 

Parce que, pour chaque jeune comme Abdoulaye, une main tendue au bon moment peut réellement transformer une trajectoire. Et parce qu’en ouvrant un espace de dignité, d’écoute et de solidarité, Muslim Hands France et ses partenaires aident à créer les conditions pour ces jeunes de ne pas affronter seuls l’isolement et la rue. 

N.B : Les images ont été générées par l'intelligence artificielle.

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Muslim Hands France

Etablie en 2007, Muslim Hands France est une ONG de solidarité internationale régie par la loi 1901 et œuvrant dans le domaine de l’humanitaire et du développement.