Chronique d’un humanitaire terrain (épisode 1)
Dans les ruelles de Paris et ses banlieues, sous les ponts et dans les zones les plus précaires, Muslim Hands France s’engage depuis 2007 pour venir en aide aux populations les plus démunies, où nos actions allient engagement solidaire et proximité humaine pour répondre aux urgences sociales.
Afin de vous offrir une vision plus claire de l’impact et du rôle central de nos coordinateurs à Paris, Lyon et Marseille, nous leur laissons la plume.
À travers cette première chronique, Yasin, notre coordinateur de projets en Île-de-France, vous partagera son expérience, ses défis au quotidien et la manière dont vos dons contribuent à améliorer la vie de ceux qui en ont le plus besoin.
De l’action Internationale à l’engagement local
Après avoir obtenu un master en ingénierie de projet de coopération internationale à Sciences Po Lyon, j'ai acquis une expérience significative dans le domaine de la solidarité internationale. J'ai travaillé au Liban avec Processmed, une structure dédiée aux échanges et à la création de projets de coopération. J'ai également eu l'opportunité de contribuer à un événement organisé par INTERFERENCE à Tunis, un festival d'architecture de lumière centré sur les défis climatiques, notamment l'eau. Après un an à l'étranger, je suis revenu en France pour poursuivre mon engagement solidaire.
En février 2024, j’ai intégré Muslim Hands France en tant que coordinateur de projet et chargé de collecte de fonds. Rejoindre cette ONG, dédiée à l’aide aux plus démunis et au bien commun, a concrétisé mon objectif de travailler pour une cause humanitaire. Mon poste comporte des missions variées, dont une présence sur le terrain, la création de partenariats, ou encore la conception de projets.
Mon premier défi était de lancer une campagne d’hiver dans une période particulièrement difficile, marquée par des températures très basses. J’ai décidé d’adopter une approche de terrain, en me rendant sur les lieux où se regroupent souvent des personnes sans abri et sur les campements des immigrants proches de l’Hôtel de Ville au 5 ème arrondissement.
Je me suis déplacé à pied dans divers endroits de Paris, notamment les quais près de la place Bastille, le pont de Marie, le quai Henri IV, l’Hôtel de Ville, le parc de La Villette, la place Stalingrad, et le parc de Belleville.
L’immigration des mineurs non accompagnés au cœur de ma préoccupation
À travers ces visites, j’ai découvert une réalité poignante : de nombreux jeunes migrants, souvent mineurs, vivent dans des conditions extrêmement précaires. Ces jeunes, originaires d’Afrique de l’Ouest, traversent le Sahara, un désert aussi meurtrier que la Méditerranée, dans l’espoir de trouver une protection et un avenir en France.
En arrivant sur le quai Henri IV, j’ai repéré un campement regroupant plus de 100 personnes. Je me suis approché d’un petit groupe de jeunes hommes en train de faire leur toilette en plein air, cachés derrière des tentes et sous un pont. Après m’être présenté et leur avoir expliqué la mission de Muslim Hands France, je leur ai posé des questions pour mieux comprendre leur situation. Au début, ils semblaient méfiants et hésitants, ne sachant pas ce que je cherchais. Je leur ai assuré que mon objectif était de leur apporter un soutien adapté, et pour cela, j’avais besoin d’en apprendre davantage sur leurs parcours et leurs besoins.
Un jeune homme qui avait l’air d’être le leader du groupe s’est présenté :
“ Je m'appelle Aboubakir (pseudonyme), je viens du Sénégal, d'une région proche de la frontière avec le Mali. J'ai 17 ans et je souhaite poursuivre mes études en France. Pour arriver à Paris, j'ai dû traverser plusieurs pays : le Mali, l'Algérie, la Libye, et la Méditerranée jusqu'à Lampedusa. Depuis cette île, nous avons été transférés en Italie, où j'ai pu obtenir un laissez-passer pour rejoindre la France.
J'ai pris le bus de Rome à Paris. Arrivé à Bercy, j'ai commencé à chercher d'autres jeunes comme moi. Depuis trois mois, je vis dans un campement avec d'autres jeunes venus de différents pays : Sénégal, Côte d'Ivoire, Mali et Guinée-Conakry. Nous sommes environ une centaine de personnes ici. Nous avons demandé à plusieurs reprises à la préfecture et à la mairie de nous trouver un lieu pour nous loger, mais on nous a répondu qu'ils ne pouvaient pas nous aider, car nous n'avons pas de papiers.
Nous organisons des manifestations quotidiennes devant la mairie pour revendiquer notre droit à la protection, étant donné que nous sommes des mineurs. La vie dans la rue est extrêmement dangereuse : le froid, l'insalubrité et, surtout, le manque de sécurité. C'est pourquoi nous essayons de rester ensemble pour nous protéger. Pour manger, nous devons nous déplacer chaque jour.
Le matin, nous allons au siège d'une association qui nous donne du café, du lait chaud et du pain, ce qui nous permet de nous réchauffer. Nous devons être là avant 8 heures. Ensuite, nous nous rendons au centre de Paris, au Centre Pompidou, où nous pouvons passer du temps au chaud, avoir accès à Internet et recharger nos téléphones.
La bibliothèque est un endroit où nous pouvons passer la journée, bien à l'abri de la pluie et du harcèlement des forces de l'ordre. Lorsque nous sommes dans les espaces publics, nous sommes souvent arrêtés par la police, qui nous demande nos papiers. Bien qu'ils sachent que nous sommes des mineurs en attente de la décision d'un juge concernant la validation de notre statut, ils nous harcèlent régulièrement.
C'est pourquoi nous essayons de rester discrets, en empruntant des chemins moins visibles pour éviter les contrôles. En fin de journée, nous cherchons des repas chauds auprès des associations qui organisent des distributions à différents endroits. En somme, notre journée se passe à se déplacer d'un lieu à l'autre, à la recherche de chaleur, de nourriture et de sécurité. ”
Comprendre et agir pour une migration humaine et digne
Ces rencontres, ainsi que d'autres, ont façonné l'orientation que je souhaitais donner à mes actions. L'immigration et la manière dont notre société accueille les personnes venant de zones de conflit ou de régions touchées par la pauvreté — conséquence directe de facteurs politiques et économiques — sont au cœur de mes préoccupations vu la difficulté des conditions de vie de ces personnes.
La plupart de ces migrants viennent de l’Afrique de l’Ouest, notamment des régions proches du Sahel, durement touchées par la sécheresse dû à la désertification et aux changements climatiques.
Ces changements combinés à l'instabilité dans la région du Sahel et au chaos persistant en Libye, a ouvert des routes migratoires reliant l'Afrique subsaharienne à l'Europe : via l'Italie en passant par la Tunisie et la Libye, ou encore via l'Espagne en passant par le Maroc. En 2019, les enfants de 15 à 17 ans représentaient 90 % des MNA. Ils étaient originaires de Guinée (24,67%), du Mali (23,29%), de Côté d’Ivoire (13,16%), du Bangladesh (4,83%), d’Algérie (4,11%). Les trois pays d’Afrique de l’Ouest représentaient 61 % du flux de mineurs orientés par la cellule nationale ( 45,45 % en 2020) et les MNA originaires d’Afrique du Nord 10,57% (18,4 % en 2020 du total des jeunes reconnus MNA soit 1 749 jeunes).
L'immigration des jeunes est un phénomène amplifié par la mondialisation. Face à un avenir sombre dans des pays minés par la corruption, la mauvaise gouvernance et les coups d’État, ces jeunes projettent leurs espoirs ailleurs. L'Europe représente pour eux un rêve, une terre de possibilités, à condition d'obtenir un statut légal. Cependant, ce rêve se heurte à une réalité de plus en plus difficile, exacerbée par les crises économiques mondiales qui fragilisent davantage les pays du Sud.
À travers nos actions en Île-de-France, notre objectif est d’aider ces jeunes à sortir de l’isolement et de leur fournir un soutien, même modeste, mais tangible. Être sur le terrain à leurs côtés, malgré des ressources limitées, leur offre une lueur d’espoir. Après avoir discuté avec les jeunes rencontrés au pied de l’Hôtel de Ville de Paris, j’ai pris note de leurs besoins essentiels pour préparer une action en leur faveur.
Lorsque celle-ci a été lancée, il est rapidement apparu que ces jeunes avaient bien plus besoin qu’une aide ponctuelle. Ce qui leur manquait le plus, c’est un logement stable et un moyen de subsistance. Ils exprimaient le désir de suivre une formation qui leur permettrait de travailler et de devenir autonomes. Un logement, même partagé, leur offrirait la sécurité d’un abri chaud et les éloignerait de la peur et des dangers auxquels ils sont exposés quotidiennement.
L’éveil d’une mobilisation collective parmi les jeunes migrants
Aboubakir, le jeune Sénégalais qui avait pris le rôle de médiateur les jeunes et moi, a disparu après deux actions de distribution de kits d’hygiène. J’ai tenté de le retrouver, mais avec leur mode de vie nomade, cela s’est avéré difficile. J’ai voulu croire qu’il avait trouvé un logement avec ses amis et qu’ils avaient commencé une formation ou construit une vie plus stable.
Lors de ma dernière visite sur le campement initial en février, accompagnée d’une bénévole malgré les intempéries, nous avons effectué une ultime distribution de kits d’hygiène. À ce moment-là, le campement accueillait des jeunes d’Afrique de l’Ouest, du Maghreb et d’Afghanistan.
Quelques semaines plus tard, il avait disparu. Après des recherches, j’ai appris que les jeunes avaient été déplacés (officiellement par la préfecture), à cause de la montée des eaux de la Seine.
Lors du prochain article, je reviendrai sur les actions que nous avons menées pour les soutenir, mais aussi des initiatives réalisées en 2024 en Île-de-France avec Muslim Hands France.
Je vous remercie de m’avoir lu et vous donne rendez-vous prochainement pour la suite.